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Personnifier les bouées, une spécificité française?

Truie d'Arradon

Truie d’Arradon

C’est en passant devant la truie que m’est venu l’idée de cet article. Quelle truie me direz-vous? Celle du paysan charentais d’à côté? Non, celle d’Arradon évidemment! Lever ces ambiguïtés, c’est bien notre sujet. Pourquoi et sur quelle base nommons-nous les balises d’aide à la navigation? Comment se fait-il que certains noms se répètent en divers points des côtes françaises? Je n’ai pas trouvé la réponse à toutes ces questions, mais voici quelques observations personnelles suite à mes recherches. Les lecteurs bien informés sont chaudement invités à commenter et compléter!

Le golfe du Morbihan : une vraie ménagerie!

Premier test pratique : ouvrons la carte marine du golfe du Morbihan. Pour ceux qui ne l’auraient pas dans leurs trésors, le site géoportail met gratuitement en ligne les cartes littorales du SHOM.

Embouquons le goulet d’entrée de Port-Navalo et dirigeons nous vers Vannes. Après avoir laissé sur tribord la tourelle ouest de la Grande Truie, passons la balise métallique du Grand Mouton, puis la perche des Tisserands. Cap sur la bouée verte de la Jument. Poursuivons jusqu’à Port-Blanc et passons les Réchauds, puis la Truie d’Arradon. Le balisage est tellement dense que je vous épargnerai la fin. On peut noter la présence d’une troisième truie sur le plan d’eau, ainsi que de cochons… Les marins seraient-ils des paysans refoulés pour nommer toutes ces balises d’après des animaux? Les explications sont le plus souvent locales. Autant la balise rouge de la truie d’Arradon pourrait évoquer la livrée porcine, autant les rayures jaunes et noires de celle de Port Navalo évoqueraient plus les Dalton!

Un balayage des côtes hexagonales montre un tropisme animal certain, évoquant généralement des animaux familiers. On peut citer parmi les plus courants les taureaux, chats, cochons et autres perdrix. Outre-mer, on retrouvera la frégate en Guadeloupe.

Passés les animaux, il est amusant de constater la même persistance pour certains termes : les Sept-iles ( il y en a toujours sept, jamais une de plus ou de moins, symbolique du sept oblige…), les Trois pierres (toujours trois, là aussi), la Vieille, Les Soeurs..

Ensuite viennent les spécificités régionales. De nombreuses bouées prennent le nom du site dans la langue locale. Ainsi, la célèbre bouée du Nouch, accueillant les solitaires du Vendée-Globe à l’entrée des Sables d’Olonne, désigne un nœud dans le patois vendéen.

Enfin, je ne résiste pas à un clin d’œil historique. La couleur de la tourelle Richelieu qui balise l’entrée de la Rochelle n’est pas sans rappeler la tenue rouge du cardinal homonyme. Elle marque en tout cas l’emplacement de l’ancienne digue ayant assuré le siège du port par le ministre de Louis XIII. Les balises peuvent donc même devenir un support de propagande, rappelant à des générations de marins protestants rochelais ce qu’il en coutait de lutter contre l’Etat…

Quid de nos voisins?

Amour Point

Amour Point

Convaincu que cette habitude de nommer et donner ainsi une personnalité à nos compagnons de navigation était internationale, je me suis mis en tête de comparer ces noms. Peut-être y avait-il là aussi des similitudes? Quelle ne fut pas ma surprise en scrutant les cartes de nos voisins italiens, espagnols ou anglais, voire même en allant jusqu’en Nouvelle-Zélande ou au Canada. Certes, les phares y portent un nom, mais les bouées, tourelles et autres amers n’ont pas le droit à cette considération. Ils doivent se contenter d’un simple numéro et d’une zone géographique générale. S’agit-il là d’une nouvelle exception culturelle française? Elle est en tout cas à défendre dans tout traité international!

Quoique m’éloignant du thème, je ne résiste pas à partager quelques jolis noms collectés sur les cartes du globe. Le coq gaulois veille sur l’entrée du port sicilien de Palerme, du haut du Capo Gallo (Cap du Coq). Peut-être même produira-t-il la nourriture des néo-zélandais de Nugget Point. Enfin, les romantiques préfèreront se rendre à Amour Point à Terre-Neuve.

L’identité donnée à ces éléments familiers par le navigateur marque une forme de lien affectif. Le plus beau retour me semble venir de Michel Le Floc’h, dessinateur de bande dessinée bien connu des lecteurs de mer360. En effet, ceux qui ont lu 3 éclats blancs se souviendront de son héroïne, Perdrix, appelée ainsi en référence à la balise d’entrée de Loctudy, lieu très apprécié de l’auteur. Quand les rôles s’inversent et que la mer prend le dessus…

PS : Malgré mes recherches, je n’ai trouvé aucune statistique sur les noms de balises. Amis lecteurs, n’hésitez pas à partager…

Crédits photographiques :
Truie d’Arradon : Matthieu FAURE (sous licence CC BY-SA 2.0)
Amour Point : Greying_geezer (sous licence CC BY-NC-SA 2.0)

 

4 réponses à Personnifier les bouées, une spécificité française?

  • Pour ce qu’il en est du Golfe du Morbihan, je vous signalerais que truie se dit gues en vannetais et gued en vannetais correspond au guet. Ainsi la grande Truie de Port Navalo se dit Mor gues et la plateforme du guet de mer, Mor gued,qui a pu être construite sur la plature en lieu et place de la tourelle.Il semblerait que les ingénieurs hydrographes de Beautemps Beauprè furent mal renseignés ou qu’à cette époque la mémoire collective ai déjà oublié l’édit de Colbert confirmant les guets de mer rendus obligatoires, du temps de François 1er, dans tous les villages en bord de mer pour prévenir des attaques étrangères, notamment anglaises…

  • Bien vu Briag, et la Baie de Morlaix n’échappe pas à la règle.
    Et là aussi -d’aucuns y verront l’influence des cultivateurs léonards- la ferme est très représentée dans le bestiaire: car en plus du Corbeau, du Cerf, des Chiens, ou encore du Loup on y croise également le Taureau (marquant le caillou sur le quel est bâti le célèbre château éponyme), le Grand Cochon, la Petite Vache, les Cochons Noirs, ou encore la passe aux Moutons, et j’en oublie certainement quelques uns.
    Je me garderai par contre d’établir un lien quelconque avec l’île Ricard…

    • Y aurait-il une marque spéciale, jaune évidemment, marquant l’ile Ricard?

      • Pas de marque spéciale, pas même de danger isolé! Il y a par contre une série de cylindres jaunes, qui ne sont pas sans rappeler des verres… officiellement ils marquent la limite à na pas dépasser pour ne pas effaroucher les oiseaux, mais qui sait s’ils ne sont pas là pour protéger la source? Car il est vrai qu’on y voit souvent les plongeurs.