Réflexions et infos navales, littorales et portuaires

Porte-conteneurs : le coût du gigantisme… (1/2)

Dans un rapport de mai 2015, l’ITF (International Transport Forum, agence de l’OCDE) se penche sur la course au gigantisme dans le transport maritime. En étudiant la supply chain depuis les navires jusqu’au client, il met fin à certaines idées reçues sur les économies d’échelles. Dans ce premier article, nous traiterons de la relation taille de navire – coût d’exploitation et des travaux portuaires induits. Dans un deuxième volet, nous présenterons les effets logistiques, du docker au consommateur et les nouvelles politiques publiques à envisager…

CMA CGM Marco Polo (18 000 EVP)

CMA CGM Marco Polo (18 000 EVP)

Navires toujours plus gros, gains toujours plus faibles

La mondialisation des échanges a entraîné l’augmentation de la taille des navires. Parmi ceux-là, les porte-conteneurs, qui représentent le quart de la flotte mondiale, ont connu la plus forte croissance, leur taille doublant dans la dernière décennie. Les dernières commandes, livrables en 2017, concernent des navires de 21 000 EVP ( Equivalent Vingt Pieds : mesure classique indiquant le nombre de conteneurs standards embarquables ).

Malgré une image très positive, au point que les baptêmes des nouveaux géants attirent jusqu’au président de la République, il semble que les économies induites baissent. Le gain réalisé sur la nouvelle génération est quatre à six fois inférieur à l’étape précédente. De plus, 60 % des améliorations sont dues aux nouvelles technologies de propulsion ainsi qu’aux nouveaux modes d’exploitation ( ralentissement des navires pendant la crise ) et non au facteur d’échelle.

Le gain se fait sur trois niveaux : investissement, armement et frais par voyage.

Moteur de porte-conteneur

Moteur de porte-conteneur

Le gain sur l’investissement est hautement lié au prix de l’acier qui varie énormément. Le coût en tôle par EVP transporté diminue fortement avec la taille. Pour autant, d’un point de vue technique, augmenter encore la capacité impliquerait d’élargir les navires à 65 m. Cela nécessiterait des aciers de haute résistance, plus chers et plus lourds. Les gains pourraient baisser.

La course au gigantisme a créé une surcapacité de la flotte par rapport au trafic atteignant 20 millions d’EVP en 2015. Chaque compagnie, pour rester compétitive, a investi dans des super porte-conteneurs. Si cette logique s’entend de manière individuelle pour préserver les performances d’un armateur, elle entraîne au niveau global une baisse des taux de fret qui annihile les gains d’échelle.

Un navire plus long consomme moins en proportion. Pourtant, l’économie de carburant des dernières années est surtout le fait de l’apparition du « slow-steaming » ( pratique consistant à baisser la vitesse d’exploitation du navire et régler le moteur en conséquence ). Sur les lignes Asie – Europe où sont exploitées les nouvelles unités, le temps de navigation élevé permet des avantages substantiels. Les anciens navires sont alors transférés en cascade sur des lignes plus courtes, avec un temps de navigation et un gain plus faibles, y entraînant une surcapacité. Au niveau global, l’avantage économique est à nouveau ténu.

L’assurance et la fiabilité de ces géants posent également problème. Un vieil adage dit de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. C’est bien l’avis de certains assureurs. 21 000 EVP sur un même navire pouvant être perdus simultanément font monter la prime en conséquence. La perte totale d’un 19 000 EVP était estimée à 1 milliard de dollars en 2015 par Allianz. L’ensemble de la supply chain pourrait en pâtir.

 Des travaux portuaires titanesques

Dragage à Maasvlakte 2 ( Rotterdam )

Dragage à Maasvlakte 2 ( Rotterdam )

La conteneurisation du transport a entraîné une forte concentration portuaire. Pour exemple, six ports de l’Europe du Nord accueillent 4/5ème des marchandises en provenance d’Asie. Le coût du transport depuis ces hubs principaux est élevé. La difficulté de remplissage des méga porte-conteneurs en l’absence d’escale directe devrait éviter une concentration ultérieure du secteur portuaire. Pour autant, ces ports doivent s’adapter aux mensurations des nouveaux géants.

Le premier facteur critique est le tirant d’eau. Elevé, il implique un dragage important des chenaux. Les principaux ports se situant en zone estuarienne, à l’image d’Anvers, Hambourg ou Londres, l’opération doit avoir lieu quasiment en continu, à des prix pharaoniques. Le coût environnemental est plus délicat à estimer, mais bien réel dans des écosystèmes estuariens souvent fragiles.

Croisement sur l'Elbe

Croisement sur l’Elbe

Dans certains cas, la largeur des navires peut s’avérer problématique pour les croisements sur le fleuve. Des logiciels coûteux sont alors mis en place pour la gestion du trafic.

Le tirant d’air est un autre facteur critique. L’impossibilité de passer sous certains ponts, oblige à développer des terminaux plus en aval, avec les investissements qui en découlent. Dans le cas contraire, des travaux coûteux sont effectués pour remonter les tabliers des ouvrages existants, à l’image de New York qui engage une enveloppe de 1 milliard de dollars pour passer d’un tirant d’air maxi de 46 m à 65.5 m.

L’échelle des navires et des équipements de manutention augmentant, les efforts mécaniques sur le quai croissent aussi. La résistance structurelle des appontements doit être revue à la hausse, induisant des opérations de génie civil importantes.

Comme on le voit dans ce premier volet, les méga porte-conteneurs, s’ils représentent un gain pour les armateurs, induisent un coût discutable pour les ports. Nous verrons dans la prochaine partie qu’ils ont également un effet sur la logistique et le cadre de vie de tous les citoyens, même hors des ports.

 Crédits photographiques :

CMA CGM Marco Polo : GrahamAndDairne (licence CC BY-NC 2.0 )

Moteur de porte conteneur : Bari Bookout (licence CC BY-NC 2.0 )

Dragage à Maasvlakte 2 : Latitudes-flickr (licence CC BY-NC-ND 2.0)

Croisement sur l’Elbe : Mer360

 

 

2 réponses à Porte-conteneurs : le coût du gigantisme… (1/2)

  • La course au gigantisme dans le transport maritime ne concerne pas que les navires porte-conteneurs, comme l’article le précise, et induit un coût discutable pour les ports.
    Je prendrai pour exemple le port de fond d’estuaire de Rouen qui accueille de nombreux navires vraquiers pour le transport de céréales, navires qui eux-aussi deviennent de plus en plus gros.
    Selon des informations relevées dans un document de 2009 du Groupement d’Intérêt Public Seine-Aval, de 1991 à 2008, le volume de sédiments dragué pour l’accès au port de Rouen en aval de Tancarville, c’est-à-dire seulement dans la partie terminale d’un chenal de 120 km, représente plus du double de celui dragué pour l’accès au port du Havre. En outre, selon des informations recueillies dans un document d’Afcan.org sur le dragage des grands ports français, on peut tirer la conclusion, en croisant les informations avec celles du GIP Seine-Aval, que le port de Rouen a besoin de draguer environ 12% du volume dragué pour l’ensemble des grands ports français contre seulement 6% pour le port du Havre dont le trafic maritime représente trois fois celui du port de Rouen. Compte tenu qu’une campagne exceptionnelle d’approfondissement du chenal d’accès au port de Rouen est en cours sur la période 2008-2018, d’un coût de… 185 millions d’euros, le phénomène devrait encore s’accentuer !
    Cela illustre selon moi fort bien l’induction d’un coût discutable…

    • Bonjour Michel,
      Merci pour votre commentaire qui illustre avec des éléments chiffrés les conséquences en France de la course au gigantisme.
      Bonne lecture sur ce blog.
      Briag / Mer 360