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Naufrage et radeau de la Méduse, une documentation tentaculaire…

Le radeau de la Méduse - Tableau de Géricault

Le radeau de la Méduse – Tableau de Géricault – Musée du Louvre

Nous commémorons en 2016 le bicentenaire du naufrage de la frégate la Méduse. Cet épisode qui inspira la gigantesque toile de Géricault a laissé bien d’autres traces. Cet anniversaire est l’occasion de les explorer.

Le récit des survivants

Les éditions Folio ont réédité en 2015 un ouvrage intitulé « Le naufrage de la Méduse, Relation du naufrage de la frégate la Méduse » d’Alexandre Corréard et Jean-Baptiste Savigny. Il s’agit du récit du drame par deux survivants, ingénieur-géographe pour l’un et chirurgien de marine pour l’autre.

Le livre débute dans le style froid d’un rapport administratif. Tous les préparatifs du voyage pour le Sénégal sont détaillés, comptabilisant les vivres à bord, les passagers… Les auteurs évoquent rapidement les évènements menant de l’appareillage le 17 juin 1816 de Rochefort jusqu’à l’échouement de la frégate sur le banc d’Arguin, au large du Sahara le 2 juillet. C’est l’occasion de commentaires savoureusement désuets sur les Canaries et Madère.

Plan du radeau par Corréard

Plan du radeau par Corréard

Alors que les ennuis commencent, le style se fait plus psychologique et polémique, tout en restant précis. Les auteurs relatent les efforts pour désensabler le navire et les raisons de l’échec. Ils détaillent ensuite la construction du fameux radeau, initialement destiné à alléger le bâtiment pour le remettre à flot et non au transport de passagers.

Lorsque le commandant ordonne de quitter le navire, des passagers embarquent sur le radeau pour être remorqués jusqu’au continent par les canots du bord. Pourtant, les malheureux sont vite abandonnés à leur sort. Corréard et Savigny nous font alors partager leur détresse avec un grand lyrisme. La réalité des faits n’en reste pas moins tragique, allant jusqu’au cannibalisme.

Nous avons observé sur nous-mêmes que la terreur si naturelle que nous inspirait la position cruelle dans laquelle nous étions, augmentait de beaucoup le silence des nuits : alors tous les objets nous paraissent infiniment plus effrayant. (Ed Folio, p105 )

Episode moins connu, les survivants du radeau durent ensuite traverser le Sahara jusqu’à Saint-Louis.

La lecture de ce journal de bord plaira aux amateurs de la langue du XIX ème siècle. La retranscription des sentiments des naufragés est saisissante et parfois dérangeante. On peut regretter que le discours à deux voix soit parfois difficilement compréhensible.

Cannibalisme et copinage : un fait divers explosif

Etude de mains et pieds effectuée sur des cadavres en vue du tableau sur le radeau, (Musée Fabre)

Etude de mains et pieds effectuée sur des cadavres en vue du tableau sur le radeau, (Musée Fabre)

Autre élément instructif, cette lecture replace la fameuse toile de Géricault dans le contexte de l’époque. La perte de la Méduse et le traitement réservé aux passagers du radeau ont déchaîné les passions. C’est pour cette raison que le peintre s’en est emparé, au delà du sujet éminemment pictural.

Le capitaine de Chaumareys, qui assure le commandement de la Méduse, doit récupérer les comptoirs du Sénégal, l’Angleterre les rétrocédant suite au traité de Paris de 1815. Cette mission prestigieuse lui échoit alors qu’il n’a qu’une maigre connaissance de la zone. A l’image de nombreux officiers royalistes, il est rentré d’exil depuis peu, et a perdu ses compétences techniques. Pourtant, Louis XVIII réhabilite ces militaires. La Méduse en fait les frais. Corréard et Savigny pointent ici de nombreuses erreurs.

Les nobles et les plus riches sauvent leurs peaux sur les canots qui rejoignent le bord, alors que la quasi-totalité des matelots et des militaires à bord du radeau périt. L’absence de solidarité est elle aussi pointée par les auteurs à leur retour en France. Le cannibalisme fait les choux gras de la presse.  Le ministère de la Marine faît taire les contradictions. Chaumareys n’est condamné qu’à trois ans de prison. Les survivants du radeau publient des livres et subissent maintes pressions pour finir isolés.

Réplique du radeau de la Méduse dans la cour du Musée de la Marine de Rochefort

Réplique du radeau de la Méduse dans la cour du Musée de la Marine de Rochefort

Des questions sur l’architecture du radeau de la Méduse

L’image commune du radeau est celle du tableau de Géricault. Pourtant, celle-ci est biaisée par la perspective et les lumières de la toile. Il semble plus petit que dans la réalité. Un excellent reportage diffusé par Arte en 2015 a donné l’occasion de reconstruire le radeau sur la base des documents et témoignages. Cette reconstitution est exposée au Musée de la Marine de Rochefort.

La réplique du radeau de la Méduse sous voile

La réplique du radeau de la Méduse sous voile

On y découvre une embarcation de 20 m x 12m, sans réel pont. 151 personnes se sont tassées à bord. La faible flottabilité implique qu’ils avaient de l’eau jusqu’aux genoux. Le film d’Arte montre les recherches qui ont été nécessaire pour réaliser le radeau, à partir des connaissances sur les matériaux présents à bord des navires de l’époque. Cette étude intéressera les curieux de technique et d’architecture navale.

Après avoir vu le film, lu le livre, vous n’aurez plus qu’à faire un tour au Louvre et à Rochefort ou écouter Brassens pour vous faire une idée de l’étendue tentaculaire des conséquences du naufrage de la Méduse !

Références :

« Le Naufrage de la Méduse » par Alexandre Corréard et Jean-Baptiste Savigny  (Ed Folio, 2015)

Tableau de Théodore Géricault (1818-1819) (Musée du Louvre)

La véritable histoire du « Radeau de la Méduse » sur Arte Replay

Crédits photographiques :

Tableaux et plans du radeau : libres de droit

Réplique du radeau au Musée de la Marine de Rochefort : Magali Renard

Réplique du radeau sous voile : Tous droits réservés Chantier de l’Arsenal

2 réponses à Naufrage et radeau de la Méduse, une documentation tentaculaire…

  • Bonjour,

    A propos du naufrage de La Méduse je vous informe que j’ai publié les 25 février et 3 mars 2016 sur le site histoire-généalogie.com, la longue lettre écrite à sa soeur par Charles BREDIF, dans laquelle il relate les évenements d’après le journal qu’il tenait quotidiennement.
    Au moment du naufrage il a embarqué sur une chaloupe qui a ensuite accosté sur la côte de Mauritanie, à plus de 150 kms au nord de Saint-Louis. Il y raconte l’échouement du navire et ses suites, les péripéties et les souffrances subies par les rescapés cheminant péniblement le long de la côte désertique, leurs contacts avec les tribus qui y nomadisent etc
    C’est le seul témoignage sur le vif, tous les autres ayant été écrits plusieurs mois ou années après le naufrage.

    Marie BREDIF