Jean Cras, de la table à carte au pupitre…
Le nom de Cras est familier pour tous les navigateurs français, de par la règle qu’il nous a laissée et qui trône sur de nombreuses tables à cartes. Son prénom Jean l’est déjà moins. Mais qui connait la vie extrêmement complète de ce marin, compositeur et inventeur de génie? C’est étonnamment par la musique que m’est venue l’idée de cet article, alors que je cherchais des idées de trio à cordes à interpréter. Le projet a été abandonné mais l’article non et j’ai voulu creuser l’histoire du personnage. En voici un aperçu.
Marin par tradition familiale
Jean Cras naît à Brest le 22 mai 1879, au bout d’une péninsule bretonne à laquelle il restera toujours attaché. Il est le fils d’un chirurgien de marine renommé. La famille Cras fait partie de la bourgeoisie liée à la Marine brestoise. Le cousin de Jean, Victor Segalen, qui mènera lui aussi une belle carrière artistique de romancier / ethnologue est également chirurgien de marine. Tout au cours de sa jeunesse, Jean bénéficie d’une éducation raffinée. Sa mère tient salon, selon les habitudes de la fin du XIXè siècle, et c’est là que ses premières références culturelles se forgent à travers la poésie et la musique. Malgré un échec lors de sa première tentative, le jeune homme intègre l’Ecole Navale à 17 ans, conformément à la tradition familiale. Il brille dès lors par ses résultats dans les matières scientifiques, signe avant-coureur de ses talents d’inventeur.
Une fois finies les classes, Jean Cras part pour de longs embarquements et découvre de nouveaux horizons. Ils inspireront sa musique. Il est ensuite engagé dans la première guerre mondiale sur le front méditerranéen, notamment lors des combats des Dardanelles. Alternant postes à terre dans les Etats-Majors et commandements en mer, il est actif jusqu’à sa mort en 1932 avec le grade de Contre-Amiral.
Inventeur prolifique
Tout au cours de ses années dans la Royale, Jean Cras a cherché à améliorer les techniques maritimes et militaires. Estimé de ses équipages, il a voulu rendre plus efficaces les méthodes de la Marine.
La règle rapporteur qui porte son nom, développée au sortir de la guerre de 14-18 est sans conteste son invention la plus célèbre. Elle est aujourd’hui présente sur tous les navires français et nombre d’embarcations de plaisance. Elle permet avec un outil unique, soit de reporter sur une carte les relevés réalisés au compas sur des amers (points remarquables de la côte) afin de déterminer la position du navire par triangulation, soit de calculer le cap à suivre pour atteindre un lieu donné.
En 1904, alors qu’il est responsable des chronomètres du bord (éléments essentiels à la navigation), il invente un combinateur de signaux permettant la transmission de signaux électriques entre navires. Celui-ci deviendra standard à bord des vaisseaux de la Marine Nationale.
Il est aussi l’auteur d’un système de communication sans-fil pour sous-marins sur lequel on ne trouve que peu d’informations. Le sujet était alors à la pointe de la technologie, les sous-marins devant montrer leur importance lors du premier conflit mondial.
L’inventivité de Cras ne s’arrête pas au domaine militaire. Pour le confort des équipages, il développa un système de douche à jeton, modernisant celui en vigueur dans la Royale. Il inventa aussi une baguette électronique à attacher sur un pupitre pour permettre des répétitions de musique sans chef pour diriger.
Compositeur reconnu
S’il est aujourd’hui en partie oublié comme compositeur, Cras était de son vivant aussi célèbre que Ravel ou Debussy. Dès sa formation, il fait partie du conservatoire de la Marine. Compositeur autodidacte, il commence très jeune, avant son entrée à l’Ecole Navale. Dès qu’il le pourra, il sacrifiera sa couchette pour embarquer un piano droit, puis un demi-queue. Profondément religieux, il considère la composition comme une mission divine. Il ne fait selon lui que traduire ce que Dieu lui demande.
Pour autant, c’est surtout son mentor Henri Duparc qui lui donnera les bases théoriques de la composition. Il nourrira ensuite ses œuvres de ses deux influences principales : sa Bretagne natale et les mélodies collectées en voyage.
La collecte de mélodies traditionnelles est très en vogue au début du XXè siècle et les œuvres des romantiques de la fin du XIXè siècle, telles le Barzaz Breiz de Henri de La Villemarqué, ont profondément marqué leurs contemporains. On peut ainsi retrouver des airs bretons dans Légende pour violoncelle et orchestre.
Les sonorités exotiques rencontrées lors de ses navigations lointaines lui inspireront par exemple sa Suite pour harpe et flute, dans laquelle il souhaite recréer la sonorité du balafon.
Enfin, la navigation lui inspire elle aussi de nombreuses mélodies. Parmi les plus connues figure Journal de Bord.
Pour conclure, et en cela l’auteur de cet article se sent proche du grand homme, Jean Cras indiquait que le chocolat stimulait chez lui l’inspiration.
Sur ces conseils, je vous souhaite donc bon appétit, bonne écoute et bonnes navigations…
Bibliographie et discographie Jean Cras, Polymath of music and letters, Auteur : Paul-André Bempéchat, Ed : Ashgate Quelques informations sur les inventions de Jean Cras dans les archives de la Défense Légende, interprété par Henri Demarquette et l’Orchestre philharmonique du Luxembourg Suite pour harpe et flute, interprétée par Juliette Hurel et Marie-Pierre Langlamet Journal de Bord, interprété par l’Orchestre philharmonique du Luxembourg Crédits photographiques : Images libres de droit
Merci pour ce portrait élégant. La curiosité semble aussi rapprocher les deux hommes.