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Operation Pluto, quand Walt Disney posait des pipelines…

En cette année 2014, nous fêtons les 70 ans du débarquement allié en Normandie. Les noms de code sont dans toutes les bouches: D-Day, Overlord, Neptune… En voilà un dont on parle moins: Pluto. C’est en effet l’acronyme de l’opération Pipe-Line Under The Ocean (PLUTO) qui avait pour but d’assurer l’approvisionnement en carburant des forces alliées durant la libération du continent.

Origines et développements technologiques

PLUTO

PLUTO

Dès 1942, alors que s’élaborent du côté britannique les premiers plans de débarquement en vue de la reconquête de l’Europe occidentale, l’enjeu logistique est vite identifié. La guerre moderne implique l’utilisation de nombreux véhicules motorisés. L’approvisionnement en carburant est à ce titre un élément crucial. Si les unités réussissent à débarquer mais sont ensuite en panne sèche, l’Allemagne pourra acheminer des renforts et l’opération échouera. C’est pour cela que le Combined Operations  Experimental Establishment est chargé (parmi ses nombreuses missions de développement, voir ici pour plus d’infos) de trouver une solution d’approvisionnement. L’utilisation de pétroliers soumis au feu des avions allemands et aux torpilles des U boat ne permettait pas d’être sûr des quantités reçues. C’est ainsi qu’il est envisagé de déployer des pipelines sous la Manche, donnant naissance à l’opération PLUTO.

Des pipelines avaient déjà été utilisé auparavant, mais la pose rapide et discrète de ceux-ci nécessitait de nouvelles technologies. Il fallait en effet pouvoir stocker en un minimum de morceaux les lignes à installer. Les enrouler permettait de limiter le volume occupé. Deux techniques seront développées en ce sens: les pipes HAIS et les HAMEL.

La technologie HAIS utilise des tubes souples inspirés de câbles télégraphiques dont l’âme aurait été enlevée pour ne garder que la gaine. Un système de joint est conçu afin de relier les différents tronçons. Avant sa mise en service, le pipeline est maintenu en pression avec de l’eau afin d’éviter qu’il ne s’effondre. Des tests sont menés sur 45 miles au Pays de Galles en décembre 1942.

HMS Persephone

HMS Persephone

Néanmoins, face au coût de fabrication et à la rareté du plomb utilisé dans cette technologie, une solution alternative est mise au point. Des tubes en acier de 3″ (soit 76×6 mm) sont soudés à terre sur des longueurs atteignant 60 milles marins (soit 111 km). Ils sont enroulés sur des tambours de grand diamètre, ce qui permet de les courber sans risque de rupture. C’est le système HAMEL. Les premiers tests dans le Solent ont eu lieu en juin 1943 sur le HMS Persephone, adapté pour l’occasion.

Mise en oeuvre

L’objectif était une mise en place rapide et discrète. Deux techniques ont été utilisées. La première, la plus conventionnelle, met en œuvre des navires câbliers destinés au réseau télégraphique, ou des navires civils aménagés avec de grandes cuves permettant de stocker les pipes dans leur cales. Celle-ci a pu être utilisée pour les conduites HAIS, plus légères.

Le poids des HAMEL dépassant les capacités de ces navires, une solution dédiée a été imaginée. Il s’agit du HMS Conundrum, un tambour flottant aux dimensions imposantes: 9 m de diamètre pour 27 m de long, pesant 1600 tonnes en charge avec 60 milles de tubes. Il est à noter que Conundrum signifie en anglais casse-tête, ce qu’il a surement été pour ses concepteurs! Cette invention est probablement la plus étonnante de l’opération.

Préparation d'un conundrum

Préparation d’un conundrum

Conundrum en mer

Conundrum en mer

Des stations de pompages ont été camouflées tout le long de la côte sud britannique. Elles permettaient la distribution sans être une cible évidente pour l’aviation allemande. L’une d’elle a ainsi été placée chez un faux marchand de glace!

Résultats et conséquences

Conduite Pluto à Shanklin (Ile de Wight)

Conduite Pluto à Shanklin (Ile de Wight)

Malgré tous les efforts consentis, le premier pipeline de l’opération dite Bambi, n’a été posé que le 21 aout 1944. Il reliait l’ile de Wight à Cherbourg et n’a été alimenté qu’en septembre. A cette date, les tankers américains permettaient déjà d’approvisionner les troupes en grande quantité. Bambi a été fermé le 4 octobre 1944. L’opération Dumbo a permis de poser des conduites entre Dungeness et Ambleteuse dans le Pas de Calais. Ces 17 pipelines ont fonctionné jusqu’à la fin du conflit. Néanmoins, leurs capacités ne permettaient pas d’assurer la fourniture complète des forces engagées. Seul 8% des besoins en carburant des troupes auront été fournies par les installations Pluto, jusqu’à l’armistice. Malgré une réussite technique indéniable, Pluto ne pouvait résoudre à lui seul les problèmes logistiques.

Alors que les infrastructures portuaires d’Arromanches et de la côte normande ont été laissées sur place, peu de traces de Pluto subsistent. Seules quelques portions de conduites sont visibles sur l’Ile de Wight. En effet, en septembre 1946, 90% des oléoducs ont été enlevés. L’opération a pu être entièrement financée par la revente des matières premières récupérées, de quoi avoir un peu d’espoir pour la déconstruction prochaine des plateformes pétrolières?!

Plus d’informations :
Une vidéo sur la production des conduites HAMEL (un peu long mais quelques images impressionnantes)
Petit film avec quelques images de mise en œuvre
Une histoire exhaustive du projet (en anglais)
Crédits photographiques :
Dessin humoristique : Aimable autorisation du site AOGHS
HMS Persephone : Aimable autorisation du site Atlantic cable
Photo du conundrum : libres de droit (Crown Copyright)
Conduite Pluto : Andrew Bowden (licence CC BY-SA 2.0)

 

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